Découverte

Utilisation de la farine de Manioc

C’est une galette obtenue après la cuisson de la farine de Manioc. Elle fut la base de l’alimentation des Caraïbes, qui transmirent certainement aux premiers Européens arrivés dans nos îles le secret de sa préparation. « Les Caraïbes, dit le Père Labat, faisaient de grandes cassaves de 2 à 3 pouces* d’épaisseur, qu’ils emportaient dans leurs expéditions ». Pendant longtemps, les colons n’eurent pas d’autre pain, leurs cassaves avaient environ 3 cm d’épaisseur seulement, comme celles qui sont confectionnées de nos jours. Voici l’opinion du R.P. Du Tertre : « Je me suis, dit-il, si bien accoutumé à la bonne cassave, que je l’ai toujours préférée au pain qu’on nous apporte de l’Europe. Plusieurs sont de mon sentiment en ce point, pourvu qu’elle soit fraîche, faite de bon Manioc, et dont la farine ait été passée par un hébéchet bien fin ».

La préparation de la Cassave au 17e siècle

1) Râper le Manioc. Une fois épluchés et lavés, les tubercules étaient râpés. La râpe, encore appelée grage, comme la décrivit le R.P. Du Tertre, avait un pied et demi de haut (50 cm à peu près), huit ou dix pouces de large (aux environs de 30 cm). Elle était attachée sur une planche dont on mettait le bas dans un récipient. On appuyait le haut contre l’estomac, puis on frottait la racine à deux mains et tout le marc tombait dans le récipient. Les choses n’en restèrent pas là. La manière de râper ou de « grager » évolua. On inventa de grandes roues entièrement couvertes de râpes, de sorte que, selon ce qu’écrivait le même auteur : « … trois nègres en une heure font plus de farine que dix autres, il y en a deux qui tournent, et un qui fournit les racines… ».

2) Presser la pulpe. Cette seconde opération avait pour but essentiel de débarrasser la pulpe recueillie de tout liquide. Il y avait trois façons de procéder. La première consistait à placer la farine enveloppée d’une natte de roseau, dans une auge en bois percée de trous. On recouvrait ensuite le récipient d’une planche, et grâce à un système de levier, on fabriquait une presse pesant sur le couvercle et permettant au suc de s’écouler.

La seconde manière était la suivante : on répartissait le Manioc râpé dans plusieurs sacs de toile empilés, entre lesquels on insérait des planches de bois. La presse était la même, mais ce procédé était moins utilisé que le premier, parce que les sacs coûtaient trop cher. Ces deux façons d’exprimer le suc du Manioc étaient employées par les colons.
La troisième était celle des Caraïbes : ils mettaient la farine dans une « couleuvre », sorte de sac très allongé en roseau ou en Latanier. Ils le suspendaient à une branche ou au toit de leur carbet, puis attachaient une grosse pierre au bas de la « couleuvre » qui s’allongeait ainsi, et se rétrécissait, pressant le Manioc dont le jus s’écoulait petit à petit.

3) Tamiser la farine. Cette opération consistait à passer le Manioc râpé, pressé et séché dans une sorte de tamis à petits trous carrés fait de roseaux découpés ou de feuilles de Latanier tressées. Ainsi on rompait les grumeaux qui s’étaient formés pendant le pressage, on éliminait tous les morceaux trop gros et mal râpés, les bouts de noeuds et d’écorce aussi.

4) Faire cuire le Manioc. La cuisson se faisait généralement, chez les Colons, sur une plaque ronde de fer fondu, d’un cm à peu près d’épaisseur, large d’une soixantaine de cm. Les Caraïbes utilisaient de grandes pierres plates et minces, spécialement préparées à cet effet, ou bien des plaques de terre cuite.

Voici tous les détails sur la cuisson du Manioc, donnés par le Père Labat
« … On met donc cette farine environ l’épaisseur de trois doigts sur toute la platine ; elle s’abaisse ou s’affaisse à mesure qu’elle cuit, toutes les parties se prennent, se joignent, s’incorporent et se lient ensemble. Celui ou celle qui la travaille aide à procurer cette liaison et cette compression, en passant dessus et appuyant légèrement une spatule de bois quïil tient de la main droite. Quand il juge que le côté qui touche. la platine est cuit, ce qu’on reconnaît à ce qu’il n’y est plus adhérent, et que la couleur qui était au commencement fort blanche, devient rousse, il la tourne de l’autre côté, ce qu’il fait en passant la spatule toute entière entre la platine et la cassave qu’il élève assez pour y pouvoir passer la main gauche, et élevant ainsi la cassave toute entière, il la fait retomber sur la platine, sur le côté qui n’a pas encore senti la chaleur. C’est en cette situation que la cassave achève de se cuire ; quand elle est tirée de dessus la platine, on l’expose au soleil pendant deux ou trois heures afin d’achever de dessécher l’humidité qui pourrait y être restée… ».

Comment on prépare la Cassave de nos jours ?
Les diverses opérations restent les mêmes râpage, pressage, tamisage et cuisson ; le matériel issu de la tradition rurale la plus ancienne demeure très utilisé. Du reste, les Indiens de Guyane font encore aujourd’hui la Cassave appelée « Couac », comme les Caraïbes des Antilles la faisaient au début de la colonisation.

Le Ouïcou
C’était la boisson favorite des Caraïbes. Pendant longtemps, ils eurent seuls le secret de sa préparation. Puis, peu à peu, les Européens apprirent à le faire à leur tour. Les Caraïbes utilisaient un canari, récipient en terre cuite, qu’ils remplissaient d’eau, à laquelle ils ajoutaient deux à cinq Cassaves, cinq ou six Patates douces coupées. Puis ils couvraient le canari. En une nuit, le mélange fermentait. Ils obtenaient, paraît-il, une boisson aussi bonne que la meilleure bière. Les Indiens de Guyane en consomment encore aujourd’hui.
Peu à peu, les Européens arrivés dans nos îles modifièrent la recette. Aux Cassaves et aux Patates douces, ils ajoutaient du gros sirop de canne (mélasse). Quand ils en manquaient, ils le remplaçaient par une douzaine de Cannes à sucre et le même nombre de Bananes bien mûres, coupées en morceaux et écrasées. La fermentation se faisait pendant deux ou trois jours. La boisson obtenue était rougeâtre, rafraîchissante et nourrissante, paraît-il, mais aussi très enivrante.

La Moussache
Les tubercules épluchés et râpés forment, comme nous l’avons déjà dit, une pâte qui est mise dans des sacs, puis pressée. Le jus qui s’en écoule donne, par décantation, de la « Moussache », nom local de la Fécule. La Moussache, additionnée de farine de Manioc, sert principalement à la confection de la Cassave. Elle est également utilisée comme empois ; on en fait aussi des gâteaux, connus sous le nom de « bonbons Moussache ». Elle peut être transformée en tapioca, mais cette industrie n’existe pas dans nos îles.
La Moussache était fabriquée et utilisée dès le 17e siècle, comme le prouvent les écrits des premiers chroniqueurs : « On se sert de ce suc pour faire de l’amidon en le faisant dessécher au soleil où il devient blanc comme la neige, pour lors on l’appelle Mouchache, comme qui dirait enfant de Manioc, car le mot Mouchache, qui est espagnol, signifie un enfant. Le suc a un petit goût aigre qui se perd à mesure qu’il vieillit. On se sert de la Mouchache pour faire des gâteaux qui sont aussi délicats que s’ils étaient faits de la plus fine fleur de farine de froment… » (Père La bat) .
Si, dans certaines régions de nos îles, le Manioc est encore cultivé pour fabriquer la farine, la Moussache et les Cassaves, cette culture tend néanmoins à disparaître. Les surfaces plantées sont très réduites et les petites entreprises fami?liales ferment leurs portes.

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