Découverte

Les combats de coqs

C’est une des distractions les plus typiques des Antilles, même si on la trouve dans d’autres contrées. La plupart des bourgs ont un « pitt » (sorte d’arène plus ou moins rustique, plus ou moins luxueuse, où se livrent les combats) et il existe de véritables « écuries ». La renommée de certains éleveurs professionnels s’étend parfois aux confins de la Caraïbe. L’engouement est tel qu’il a fallu réglementer les combats et surtout les paris qui les accompagnent.

Préparer un coq de combat n’est pas une mince affaire : son propriétaire le soumet à un régime particulier, l’entraîne quotidiennement, le soigne comme la prunelle de ses yeux. Un champion peut rapporter gros. Mais les combats sont impitoyables et se soldent généralement par la mort de l’un des adversaires.

Les préliminaires de la rencontre sont longs et méticuleux : pesage et choix des combattants, pose des ergots artificiels (éperons d’acier renforçant les éperons naturels que l’on a tronqués), suivis de pratiques plus ou moins magiques et en tout cas rituelles de leurs propriétaires (projection de rhum, signes cabalistiques, etc.). Enfin, les volatiles, longuement excités, sont jetés dans l’arène.

« J’ai assisté, raconte Granier de Cassagnac en 1842, à l’un des plus terribles combats qui se soient livrés. Il s’agissait d’un coq redoutable, nommé Canelle, qui appartenait à un homme de couleur. Canelle avait déjà tué dix-sept coqs ; son nom seul faisait frémir, et il n’était à plusieurs lieues à la ronde ni homme, ni femme, ni enfant qui ne le prononçât avec respect. L’adversaire qu’on lui opposait était un gaillard matois, assez inconnu, et nommé Spingle. Il appartenait à un Blanc. Dès qu’il parut, les mauvais plaisants retinrent chacun un bol du bouillon qu’on ferait avec sa chair, car c’est à cet usage profane qu’on réserve les coqs morts au champ d’honneur. Canelle eut de prime abord 200 francs sur sa liste ; le pauvre Spingle n’avait pas dix écus. Les habitués du pitt, gens de tactique, discutaient les résultats probables de la lutte. Canelle était un ouragan ; c’était toujours du premier au troisième coup qu’il tuait son coq. « Si Spingle évite ces trois coups, disait-on, il a quelque chance. Mais la difficulté est là ». Enfin les listes des paris furent closes ; Spingle trouva huit ou dix gourdes téméraires ; son maître compléta la somme, et l’on en vint aux prises… Ni Ajax, ni Patrocle, ni Marcellus, tué dans une embûche, ni Murat, ni aucun guerrier immortalisé par sa fougueuse audace, ne sauraient donner une idée de Canelle chargeant son ennemi. Ses deux terribles épées d’acier étaient toujours en l’air, frappant d’estoc, fouillant dans le vide, et de nature à percer une armure de chevalier. Spingle, dans cette grave circonstance, temporisait comme Fabius Maximus, évitait les bottes, laissait passer l’orage, et se préparait pour des temps meilleurs. Au bout de quatre minutes, Canelle, ébahi de ne pas voir son ennemi mort, ne savait plus ce qu’il faisait ; ses épées frappaient toujours avec la même furie, mais elles n’atteignaient rien. C’est alors que Spingle, qui avait supporté les railleries des spectateurs, prit l’offensive et attaqua vivement. La peur gagna visiblement les amis de Canelle ; les chances étaient devenues égales : l’un était furieux et fatigué, l’autre était reposé et calme. Tout à coup, les hommes de couleur poussèrent un cri : Canelle venait de recevoir un coup qui l’avait jeté à terre ; mais, entre coqs, l’honneur n’est pas satisfait sans qu’il y ait un mort, et le combat continua. C’était devenu lamentable : Canelle, les ailes traînantes et les yeux fermés, chargeait encore vaillamment, comme le Roi de Bohême à la bataille de Crécy ; mais Spingle le frappa encore de ses deux épées, et alors le blessé tomba de nouveau et ne se releva plus. Son maître le releva avec désespoir ; on chercha sa blessure, on fit jouer ses membres, on le saigna, rien n’y fit. Il était mort. Je n’ai jamais vu de consternation semblable à celle du Mulâtre maître de Canelle, et il aura véritablement fallu le bouillon qu’il en aura fait, le soir, pour le remettre de sa douleur.

Il se passa, le dimanche suivant, au pitt, une scène incroyable eu égard au sérieux avec lequel elle fut résolue, et à l’enthousiasme avec lequel elle fut accomplie. Il y avait un vieux coq, célèbre, et qui ne se battait plus. On le nommait Plume-aux-Pattes. Il était borgne, comme Annibal et comme Sertorius, et il avait tué trente rivaux en combat singulier. Un Blanc, le maître de Spingle, l’acheta 30 fr. et le fit battre. Comme on ne trouvait pas de rivaux à chances égales, Plume-aux-Pattes se battit contre des coqs qui pesaient une livre de plus que lui. Il en tua trois. Alors, le public intervint en masse en faveur du gladiateur emplumé, et demanda avec cris qu’il ne courût plus les chances de la lutte. C’était juste, son maître accorda la demande. Mais comme l’enthousiasme s’en était mêlé, une voix demanda que Plume-aux-Pattes, qui avait tué 33 coqs, fût décoré ; et l’on n’entendit plus qu’un cri : la croix ! la croix ! On alla sur le champ chercher une croix de la Légion d’Honneur, où il y avait « honneur et patrie » et on la passa autour du cou du coq, avec un ruban rouge. En même temps, on fit venir une belle cage de bois en acajou, dans laquelle Plume-aux-Pattes fut placé ; et puis, tous les autres coqs portés par des Nègres défilèrent devant lui, en chantant son triomphe, ce qui détermina parmi les spectateurs un rire olympien… »

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